Dire que le rouge à lèvres a traversé les siècles, c’est minimiser la puissance de ce minuscule objet. La première formulation solide destinée à colorer les lèvres apparaît au début du XXe siècle, alors que le terme « rouge à lèvres » s’impose en France dès les années 1920. Contrairement à d’autres produits cosmétiques nommés pour leur usage ou leur effet, celui-ci emprunte directement la couleur rouge, longtemps symbole d’audace et de statut social.
L’appellation perdure même si la palette s’élargit, englobant des teintes qui n’ont plus rien de rouge. Ce choix lexical s’ancre dans l’histoire des modes, des interdits et de la démocratisation du maquillage.
Aux origines du rouge à lèvres : des civilisations antiques à l’invention du bâton
Le rouge à lèvres ne trouve pas sa source dans une élégante manufacture du siècle dernier. Son histoire plonge plutôt dans la poussière dense des civilisations antiques. Égypte antique, Perse ancienne, Grèce antique : les toutes premières traces de maquillage des lèvres remontent à plus de 5 000 ans. Cléopâtre, déjà, teignait sa bouche de pigments issus de pierres précieuses broyées et d’ocre. En Mésopotamie, les femmes utilisaient des mélanges colorés extraits de plantes, de henné, mais aussi, plus risqué, de mercure.
Du côté grec, la couleur rouge ne passe pas inaperçue : elle distingue les courtisanes des citoyennes. À Rome, ce produit cosmétique se diffuse au sein des élites, affirmant le rang de celles (et parfois ceux) qui l’arboraient. Plus loin, dans l’ancien Iran, on façonne ses propres recettes à base d’œuf, de lait et de figue, créant des textures originales.
| Époque | Ingrédients utilisés | Symbolique |
|---|---|---|
| Égypte antique | Pierres broyées, ocre, carmin | Prestige, séduction |
| Grèce antique | Colorants naturels, plantes | Différenciation sociale |
| Rome | Cire, pigments | Affirmation du rang |
Au XIXe siècle, tout s’accélère. Le premier bâton rouge apparaît, roulé dans du papier, puis protégé dans des tubes métalliques. En 1915, l’invention du tube à système coulissant change la donne : le rouge à lèvres moderne devient un accessoire public, intégré au quotidien, loin du rituel secret d’autrefois.
Pourquoi parle-t-on de “rouge à lèvres” ? Décryptage d’une appellation emblématique
Le nom rouge à lèvres fait surface au début du XXe siècle, à une époque où la couleur évoque la nouveauté, l’audace, la rupture avec le passé. Le rouge, ce pigment frappant, prend place sur la bouche, qui incarne désir, provocation et parfois même revendication politique. Les premiers journaux féminins emploient déjà l’expression rouge baiser. La formule se propage, amplifiée par la publicité et la presse spécialisée.
Impossible d’ignorer la portée du rouge. Depuis l’Antiquité, il rime avec pouvoir, passion, danger. Sur les lèvres, il devient manifeste. Au Moyen Âge, arborer des lèvres rouges attire la suspicion, soupçon de sorcellerie ou de mœurs légères. Des siècles plus tard, le rouge à lèvres maquillage se mue en outil d’affirmation. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’affiche comme un geste de patriotisme, notamment en France et au Royaume-Uni, où il incarne la volonté de rester debout face à l’épreuve.
Plusieurs facteurs expliquent ce choix de nom :
- Rouge symbole : puissance, passion, esprit de fronde
- Application sur la bouche : la nature même du geste, immédiatement reconnaissable
- Évolution sémantique : du pigment à l’objet fini, le passage du simple “rouge” au “rouge à lèvres”
L’histoire du rouge à lèvres dépasse le simple geste de coquetterie. Sa dénomination concentre des siècles de rapports complexes à la féminité, au rang social, à l’indépendance. Ce petit tube, c’est un concentré de culture et de revendications.
Le rouge à lèvres, reflet des époques et des cultures à travers le monde
Sur tous les continents, le rouge à lèvres ne fait pas que colorer la bouche : il évolue, se transforme, adopte des significations variées. En Grèce antique, les femmes issues de milieux modestes s’en servent pour se distinguer des citoyennes. En Perse, hommes et femmes s’approprient le maquillage, associant le rouge à la vigueur et à la bonne santé.
La Seconde Guerre mondiale marque un tournant décisif. Elizabeth Arden, pionnière de la cosmétique aux États-Unis, conçoit un rouge patriotique pour les femmes américaines, qui sera même distribué sur le front. En France, le rouge à lèvres devient un symbole de résistance, un rituel pour affirmer sa dignité face aux épreuves. Les articles de mode de l’époque célèbrent la silhouette féminine, la bouche rouge comme signe de force et de constance.
En 1923 à New York, James Bruce Mason invente le tube pivotant, rendant le geste universel : maquillage à portée de main, prêt à sortir du boudoir pour investir la rue. Rachel Kahn Christophe, historienne de la mode, analyse la capacité du rouge à lèvres à incarner à la fois la modernité et la perpétuation de rituels ancestraux, entre société et séduction.
À travers le monde, ce produit cosmétique sert de code social, parfois de revendication politique, toujours de miroir aux évolutions. Chaque nuance raconte son époque, ses combats, son désir d’affirmation. Aujourd’hui encore, ouvrir un tube de rouge à lèvres, c’est convoquer l’histoire et affirmer sa place, un geste minuscule, une trace éclatante sur la ligne du temps.


